Rockstar Games : Dan Houser, l'ancien vice-président de la compagnie, revient sur sa carrière et les jeux du label

Posté par Isyanho le Mardi 11 Novembre 2025 à 21h01 - Un commentaire ? (0)

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En novembre 2026, les joueurs mettront enfin la main sur Grand Theft Auto VI, le prochain grand titre de Rockstar Games, prêt à installer de nouveaux standards au sein de l'industrie. Cependant, si l'avenir n'est pas encore écrit, le passé nous rappelle combien le temps qui passe est une valeur précieuse.

 

Bien qu’il ait quitté l’entreprise en 2020 et qu'il se soit toujours fait discret dans les médias (outre les périodes promotionnelles autour des jeux de la compagnie), Dan Houser, cofondateur et ancien vice-président du label au R étoilé a récemment accordé une interview de 2h45 à Lex Fridman sur YouTube, l'occasion pour celui qui a été aux commandes sur tous les projets de l'éditeur et développeur, de sa création (et même un peu avant avec BMG Interactive et le tout premier GTA) jusqu'à Red Dead Redemption 2, en passant par Grand Theft Auto III, Grand Theft Auto IV et Red Dead Redemption notamment, de revenir sur son parcours au sein de la compagnie.

De l’âge d’or des années 2000 à l'influence du cinéma en passant par les secrets de développement, la pression, le succès, l’écriture des jeux, les personnages emblématiques, les projets envisagés et avortés de la firme, quelques mystères révélés et la sortie prochaine de GTA VI, Dan Houser passe en revue l’ensemble de sa carrière et nous raconte comment en un peu plus de 20 ans, sa vision du jeu vidéo a marqué l'industrie et les joueurs du monde entier.

 

Retrouvez sous la vidéo l'ensemble des points abordés par Dan Houser, traduits par nos soins.

 


ATTENTION ! Cet article contient des SPOILERS sur l'histoire de Grand Theft Auto IV, Red Dead Redemption et Red Dead Redemption 2.

GRAND THEFT AUTO III
 

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« À l’époque de la PS1, voire même avant, c'était horrible. Les jeux étaient vraiment moches. On se disait : « Huit pixels, une voiture ! » Mais en fait, ce n'était pas une voiture. On plissait les yeux, on fermait les yeux et on essayait d'imaginer que c'était bien ce qu'on nous avait décrit. Il y avait toujours des sujets surréalistes, impossibles de les rendre crédibles. Soudain, on a pu créer des expériences où l'on pouvait simuler une ville en trois dimensions, et ça paraissait vivant. On essayait même de lui donner encore plus de vie et moins d'illusion. On pouvait raconter une histoire en trois dimensions, ou même en quatre dimensions en jouant avec le temps, et c'était vraiment inspirant. »
 

« On avait l'impression de pouvoir tout faire, et le monde réagissait en conséquence. Ce n'était pas scénarisé. C'était une simulation qu'on pouvait manipuler, pousser à bout et voir ce qui se passait, et je pense que c'était incroyable. Il y avait deux choses. La première, c'était le fait qu'il s'agissait d'une simulation avec laquelle on pouvait jouer et qui semblait avoir une personnalité et le monde nous répondait d'une manière ou d'une autre. La deuxième, c'était l'idée que même si je ne faisais rien, le monde existait toujours. Je pouvais agir de manière assez passive. Je pouvais juste écouter la radio, je pouvais regarder les panneaux publicitaires, je pouvais parler aux piétons et dans Vice City, on pouvait commencer à avoir des conversations rudimentaires. »
 

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« L'idée était là, existante, et c'est ce que de nombreux jeux ont tenté d'explorer : l'idée d'être un touriste numérique. Vous savez, vous étiez dans ces mondes, vous y alliez en tant que visiteur, et ils existaient presque indépendamment de vous. On avait l'impression qu'à notre arrivée, le monde fonctionnait déjà. On n'avait pas l'impression de l'avoir créé. Bien sûr, on l'avait créé, mais cette sensation, je pense, était l'une des choses, l'une des illusions qui a beaucoup captivé les gens : "Je suis dans un monde qui n'existe pas mais qui à la fois, existe". Il existe deux concepts pour les nommer : la conception systémique qui se situe du point de vue de l'environnement, ce qui signifie qu'il existe des règles et des systèmes de jeu imbriqués qui interagissent et produisent des comportements émergents (ce sont ces comportements émergents qui créent l'impression d'un monde vivant) et l'aspect bac à sable qui est différent. »
 

« Du point de vue de l'utilisateur, du joueur, on a l'impression de pouvoir tout faire. Et quand ces deux éléments se combinent, cette impression de liberté totale et celle d'un monde foisonnant, qui évolue à son propre rythme, on ressent une incroyable sensation : "Ce monde est vivant. Et j'en fais partie". C'est cette combinaison qui, je crois, est si puissante. GTA III est arrivé à un moment charnière de ma vie, et j'ai pu m'y investir pleinement, probablement pour la première fois professionnellement, et enfin créer quelque chose d'important. On commençait tout juste à explorer comment remplir ces mondes de contenu, comment rendre ce contenu intéressant et cohérent. Et quand on commence à manipuler ces systèmes, ils deviennent vivants et captivants. »

GRAND THEFT AUTO IV
 

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Avec GTA IV, ça a vraiment commencé à prendre de l'ampleur. Combien de pages ont été écrites ? On parle de combien de mots ?


« Le script de l'histoire principale faisait des milliers de pages. Le processus se fait sur plusieurs années, petit à petit. Mais on commence quand les gens ont décidé : "Voilà le monde basé sur une version de New York". Je vivais à New York, j'y avais vécu pendant quelques années. Je ne savais pas si j'étais heureux. Je traversais, comme d'habitude, beaucoup de problèmes personnels. J'ai rejoué à GTA IV récemment, et c'est vraiment sombre. Et je me suis dit : "Ah, voilà pourquoi". J'étais célibataire et malheureux, et je n'étais pas sûr de vouloir rester en Amérique. Ma vie était très instable. Au sein de la société, on avait traversé toute cette histoire de Hot Coffee, et on craignait constamment de devoir fermer en plein développement. Il y avait beaucoup de tensions, donc après cette période de succès et une relative stabilité personnelle grâce à GTA III, Vice City et San Andreas, en 2005, 2006, 2007 et début 2007, la vie est devenue très incertaine. Et ça a influencé le jeu. »

« Sur le plan créatif, il s'agissait de trouver un aspect plus sombre de New York et de retranscrire l'expérience d'un immigrant, même si je ne suis pas certain de la fidélité de cette représentation en 2008, à la sortie du jeu. L'aborder sous un angle différent, celui d'un immigrant, est ce qui, je crois, la rendait intéressante. J'y ai donc passé environ un an. Je voyageais avec des policiers, je rencontrais des gens de temps en temps, je flânais dans New York, je conduisais, etc. Je sortais simplement du bureau le matin, rien de bien compliqué. J'ai fait ça tout au long de l'année en 2005, en rassemblant des petites notes. "Voilà un personnage marrant pour ça, voilà comment faire ceci ou cela". On déterminait l'ordre dans lequel on voulait parcourir la carte avec les personnages et proposer une vision intéressante de la mafia à cette époque et de certains voyous jamaïcains aussi. J'accumulais des tas de notes, toujours plus de notes, et je fuyais vraiment, vraiment, vraiment le travail. »
 

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« Je dois l'admettre, ne pas travailler fait partie de mon processus. J'y pense, mais je ne travaille pas. Il faut beaucoup de temps. Des pages et des pages de notes, encore des notes, aucun travail concret. Des mois et des mois comme ça. Et puis finalement, je me suis fixé une date limite, j’ai dit à tous les autres, aux responsables de l’équipe : "OK, j’ai un brouillon de l’histoire à rendre lundi matin". Je ne me souviens même plus de ce que j'allais leur dire le 1er février. Le week-end précédent, j'étais dans un chalet qu'on avait dans le nord de l'État, et j'ai passé la nuit à peaufiner mes notes. On a rassemblé un document d'une trentaine de pages, avec le synopsis de l'histoire et une fiche pour chaque personnage principal. Ensuite, on l'a décomposé avec les concepteurs. J'ai toujours été clair : "Je ne suis pas concepteur de jeu, je suis plutôt directeur créatif". Il fallait décomposer tout ça en missions. Et puis, il a fallu encore environ un an de travail préparatoire. »


« Mais ensuite, l'essentiel de mon travail était fait, donc je pouvais me détendre, donner mon avis sur le travail des autres et me la couler douce. Et puis, j'ai commencé à m'inquiéter parce que je devais bientôt me mettre à écrire les dialogues. Pour GTA IV en particulier, c'était du genre : "On va essayer d'écrire". Vous savez, l'animation va rendre les choses bien meilleures par la suite. Nos modèles de personnages vont s'améliorer. Le monde sera magnifique. Nous pourrons donc proposer des scènes plus longues et des personnages plus approfondis. Mais il nous faut trouver un ton qui convienne au jeu. »
 

« Ce n'est pas facile, c'est certain. Je commençais à m'inquiéter, encore et encore. Et puis, écrire un immigré serbe… J'étais immigré, mais je ne suis pas serbe. Et essayer de retranscrire ce que ça pouvait bien faire… On commence à s'inquiéter. Je tape frénétiquement sur mon clavier et je me demande : "Est-ce que c'est bien ?". Dès que je trouve une réplique, une expression qui me plaît pour un personnage, il prend vie dans ma tête. C'était comme écrire le personnage de Niko : il est un peu maladroit, il est loin de chez lui, mais il a plus d'assurance que les personnages américains. Ensuite, je les juxtaposais, lui et son cousin, qui dégageait une énergie beaucoup plus américanisée ; ça formait un bon duo. Et à partir de là, l’histoire commence à prendre vie. »
 

« Pour les séquences de capture de mouvement, on capturait les mouvements par petits segments. Ensuite, les autres scénaristes écrivaient les dialogues des missions pour ces mêmes segments. Et on assemblait le jeu petit à petit, 10 à 15 missions à la fois, pendant un an et demi. »
 

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Pouvez-vous me donner quelques répliques qui ont donné vie à Niko ?


« C'est son incrédulité quand son cousin vient le chercher dans une vieille voiture, et qu’il ne mène pas la grande vie américaine. Et la réaction de son cousin, c’était un moment assez comique. Son cousin, bien qu’étant un peu un raté, garde quand même le moral. Par exemple, quand Niko parle à son cousin et qu’il raconte ses expériences de guerre et à quel point elles ont été éprouvantes, je me suis dit : "Est-ce que ça peut fonctionner dans un jeu ?". C’est très différent de ce qu’on voit d’habitude dans les jeux. "Est-ce que ça va paraître ridicule ?". Je me souviens avoir eu très peur, car je craignais que ce soit excessif, que ça paraisse exagéré. Mais avec la capture de mouvement pour l'animation, on s'est dit : "Ouais, ça marche plutôt bien". Une fois qu'on avait ça, on s'est dit : "OK, on a maintenant de la comédie et de la tragédie avec ce personnage. Ça fonctionne".

« Il ne pourra jamais échapper à son passé violent. Il n'y échappe jamais vraiment. Quant à savoir s'il a le choix ou non, c'est une toute autre question. Bien sûr que non, puisqu'il est un personnage de jeu vidéo. Mais, qui sait, aurait-il pu s'en sortir autrement ? »


De tous les personnages que vous avez écrits pour Grand Theft Auto, Niko serait-il le meilleur ?

« Je pense que c'est le plus novateur. Et le plus intègre moralement, d'une certaine manière. Vous savez, il fait beaucoup de choses pour défendre ce qui est juste. C'est le plus gentil, d'une certaine façon. Est-il le meilleur protagoniste d'un jeu GTA ? Je pense que c'est le protagoniste le plus novateur de la série. Structurellement, il est peut-être un peu trop gentil, par moments. Il est aussi dur, il en a l'air. J'adorais aussi CJ dans San Andreas. »
 

« Je trouve également que Ned Luke [qui double Michael de Santa"> a fait un travail formidable et n'a pas forcément reçu autant d'éloges que Steven Ogg pour Trevor, qui était excellent lui aussi. Mais je pense que le personnage de Ned Luke est essentiel au jeu. Je les apprécie tous, chacun à leur manière, mais j'ai sans doute une préférence pour Niko. »

GRAND THEFT AUTO V
 

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Pouvez-vous nous parler de GTA V ? Je ne sais pas si vous êtes un fan de Dostoïevski, mais il y a un aspect des trois protagonistes qui rappelle Les Frères Karamazov.

« Si Grand Theft Auto est encore si populaire, c’est parce que nous avons toujours essayé, en tant que groupe, d’innover d’un jeu à l’autre, tout en respectant les limites du concept. C’était un jeu de crime, un drame policier puis ça a basculé sur un jeu de crime avec GTA 1 puis sur le vol de voitures en 2D vue de dessus. Nous avons toujours essayé d’innover au niveau de la narration, de la direction artistique, de chaque aspect du jeu. Et je pense qu’après avoir fait GTA IV, qui était une sorte de voyage épique pour ce personnage principal, les deux histoires supplémentaires sont venues après et le défi était de savoir si l'on pouvait combiner les choses. Peut-on créer un jeu vidéo généralement centré sur un seul protagoniste, mais avec plusieurs protagonistes ? Avec le défi technique de passer d'un personnage à l'autre. »

« L'équipe a fait un travail tellement incroyable que je ne pense pas que les gens aient réalisé à quel point c'était difficile. On restait là, à se taper la tête contre les murs, à se demander : "Et si on faisait ceci, puis cela ?" C'était tellement compliqué. Pourquoi avons-nous fait ça ? C'était horrible. Et puis, tout s'est mis en place. L'idée était de développer trois personnages qui aient une vraie personnalité. Pas juste des avatars philosophiques ou psychologiques. Une sorte de représentation du surmoi, en somme, avant de voir comment cela se ressent dans leurs interactions. »


GESTION DES PROJETS
 

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Quand on dirige une équipe de plus de 1 000 personnes pour créer un chef-d'œuvre comme GTA V ou Red Dead Redemption 2, comment fait-on pour maintenir un niveau de perfection constant ? Comment est-ce possible ? On sait que la réponse n'est pas l'argent, car d'autres studios ont des moyens considérables, et ils ont vingt ans de retard sur Rockstar. Alors, quel est le secret pour créer ces univers, ces jeux et ces histoires si captivants ?

« Je pense que c'est une question de culture. Quand j'étais chez Rockstar, j'étais un simple exécutant parmi d'autres. L'environnement était axé sur l'excellence et visait à instaurer une vision créative claire. On croyait vraiment que GTA III pourrait être très populaire. Et pour nous, "très populaire", ça voulait dire, honnêtement, qu'il allait se vendre à deux ou trois millions d'exemplaires. »


« Et on pensait créer quelque chose d'assez novateur. On savait qu'on créait quelque chose d'innovant, mais on ignorait si le public en saisirait toute la portée. Puis, quand on a eu l'opportunité de développer Vice City et de tenter de réitérer l'expérience, je crois que depuis, l'équipe est animée d'une forte volonté de faire toujours mieux. Et, bien avant de disposer de ressources importantes, on s'efforçait d'utiliser notre temps et notre budget pour toujours proposer des images impressionnantes, en réfléchissant constamment à la manière de repousser les limites du jeu vidéo et de la création d'univers virtuels. Il y avait toujours cette clarté qui nous animait : "Voilà ce qu'on essaie de faire. Voilà le ton du jeu. Voilà comment les fonctionnalités s'y intégreront, et pourquoi certaines fonctionneront et d'autres non". Car, fondamentalement, en 2002, on pouvait intégrer quasiment n'importe quelle fonctionnalité dans un jeu. Ce n'était pas une question de faisabilité, ni de limitation technique. Il s'agissait simplement de créer une cohésion. Et puis, il s'agissait aussi que chacun s'engage à promouvoir une culture de l'excellence. »


Navid Khansari, réalisateur primé et créateur de jeux en réalité virtuelle, qui a collaboré avec vous sur plusieurs jeux Grand Theft Auto, a fait l'éloge de cette expérience. Il a déclaré : "On se donnait toujours à fond, mais la pression ne venait pas d'en haut. Sam et Dan étaient toujours prêts à se retrousser les manches et à nous soutenir. Ils ne nous ont jamais laissé tomber. On était tous persuadés de créer un truc génial, alors peu importe l'effort fourni."

« Je pense que terminer un projet, c’est difficile mais c'est aussi extrêmement gratifiant. On accomplit quelque chose, on a créé quelque chose. Et ce sentiment est, comme vous le dites, vraiment incroyable. Enfin, parfois, on peut ressentir un certain vide, parce qu’une fois le projet terminé, on se dit : "Ma vie n'a plus aucun sens", et c’est le cas pour tout projet d'envergure. Quand on travaille autant, l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée est difficile à trouver. Mais en réalité, on ne travaille pas autant tout le temps. Il suffit de s'organiser différemment. »

« Franchement, c'est un aspect tellement lourd de l'expérience humaine. J'ai parlé à des médaillés d'or olympiques, et beaucoup d'entre eux souffrent d'une véritable dépression après leur victoire. Parce qu'ils ont poursuivi quelque chose qui leur tenait profondément à cœur. C'était toute leur vie, ils étaient tellement heureux de le faire, et puis ils se demandent : "Qu'est-ce qu'il y a d'autre dans la vie ?" Qu'est-ce qui existe d'autre, comparé à ça ? Voilà les hauts et les bas de la vie. On a besoin des moments difficiles et des échecs pour vraiment apprécier les moments de joie. »
 

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Parlons de la pression. Il y a un niveau d'excitation et d'attentes incroyable pour Grand Theft Auto VI. C'était pareil pour GTA V et GTA IV, et même avant. Et vous et votre équipe avez toujours été à la hauteur. À quel point était-ce difficile de faire un travail créatif sous une telle pression, alors que tout le monde attendait un succès ?

« J'étais assez doué pour compartimenter. J'ai travaillé dur. J'ai essayé de le faire avec intégrité. J'ai essayé de ne copier personne. J'ai probablement tout essayé pour apporter quelque chose de nouveau. Et nous, en groupe, avons créé quelque chose dont nous sommes fiers. Alors c'est suffisant. Si on ne veut pas devenir fou, ou si je ne voulais pas devenir fou, on ne peut pas rester là à se préoccuper des résultats financiers. Si nous créions quelque chose de génial et que ça ne se vendait pas, il fallait l'accepter. Vous savez, les jeux vidéo coûtent cher, c'est donc une forme de créativité commerciale. C'est une forme d'art commercial. Il faut donc garder à l'esprit qu'on dépense beaucoup d'argent qui ne nous appartient pas. Il faut essayer de le rentabiliser. Mais en même temps, je me disais : "Le meilleur moyen de rentabiliser le projet, c'est d'essayer de créer quelque chose de génial". Donc, les deux pressions convergent. »

« Je pense que la production de GTA IV a été marquée par une forte pression, car l'entreprise subissait d'énormes difficultés. Elle a failli s'effondrer à plusieurs reprises à cause de Hot Coffee. C'était extrêmement difficile, et je pense que cela a engendré beaucoup de stress. Pour GTA III, l'entreprise était quasiment au bord de la faillite. Mais j'étais jeune et insouciant. Je n'étais pas encore adulte. Chaque jeu a engendré sa propre pression. Plus je m'investissais dans la création et plus j'essayais d'être ambitieux, plus je ressentais de pression. À la sortie du jeu, je me suis dit que c'était peut-être le bon choix. Car, encore une fois, si vous prenez des risques créatifs importants et que vous avez investi beaucoup d'argent, cela peut être très stressant.

« Je pense qu'avec Red Dead Redemption 2, nous étions en retard sur le planning. Nous avions tellement dépassé le budget que je préférais ne pas y penser. Imaginez : vous créez un jeu sur un cowboy mourant de la tuberculose, et le jeu ne prend pas forme. Il s'avère que beaucoup de gens doutent de vous à ce moment-là et ce n'est pas très agréable. Je pense que cela a engendré beaucoup de pression. Mais bon comme pour tout ce qui est nouveau, il y a toujours la pression de plaire au public. »


Pourquoi pensez-vous qu'il y a eu autant d'enthousiasme pour GTA IV, GTA V et maintenant GTA VI ?

« Parce qu'ils ne sortent pas régulièrement. Et je pense qu'on a vraiment bien réussi à innover constamment au sein de la licence. Les jeux étaient toujours différents et les gens ont des avis très tranchés : "J'ai préféré celui-ci, j'ai moins aimé celui-là", parce qu'ils sont assez différents. Bon, il y avait en même temps des moments où l'on savait ce qui allait se passer. C'est un Grand Theft Auto, c'est un jeu où l'on incarne un criminel, mais la façon dont on y joue allait beaucoup évoluer. Je pense donc que cette évolution constante de la licence a vraiment donné envie aux joueurs d'y jouer. Et nous étions aussi très bons en marketing. Nous avons vraiment essayé de les commercialiser d'une manière qui modernise le marketing cinématographique classique, où l'on avait vraiment l'impression d'être déjà plongé dans le produit simplement en ayant vu les bandes-annonces et autres. »
 

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On a souvent constaté une tension dans votre travail entre le monde ouvert, cette liberté, et la narration qui guide le récit. Et je pense que vous avez souvent, voire toujours, trouvé le juste équilibre. Alors, quelle est la valeur de chacun, et comment parvenez vous à ce juste équilibre ?

« Eh bien, je trouve le monde ouvert intrinsèquement très amusant. C'est tout simplement plaisant d'être dans un monde et d'avoir une liberté totale. Et bien sûr, je pense qu'à plusieurs reprises, nous avons débattu, ou plutôt, j'avais des discussions théoriques avec moi-même, ou d'autres membres de l'équipe qui insistaient vraiment pour moins d'histoire. Mais il faut laisser le tout évoluer organiquement, que tout soit procédural et que tout découle simplement de nos actions. Moi, je revenais toujours à cette idée : "Une histoire, si elle est bien faite, peut être incroyablement captivante, et elle donne une structure". Et cela aide, du point de vue de la conception du jeu, à débloquer les fonctionnalités. Cela signifie que nous connaissons les principales caractéristiques. »
 

« Offrir un tout nouveau monde et une toute nouvelle façon d'interagir avec lui via le panneau de contrôle peut s'avérer un peu déroutant. Jouer à un jeu vidéo est une expérience bien plus immersive que de lire un livre ou de regarder un film. Il faut s'y investir pleinement. Débloquer les fonctionnalités et explorer le monde demande un certain art et une certaine habileté. Nous avons estimé qu'une histoire structurée était la meilleure façon d'y parvenir et de maîtriser ce processus. De plus, les gens recherchent des histoires dans leur vie. Je pense que l'histoire est essentielle et puissante, et lorsqu'on combine les deux avec succès, on obtient le meilleur des deux mondes. Mais il y a toujours une tension. Dans un jeu comme GTA IV, sur lequel j'ai travaillé et que j'ai adoré, et dont je trouvais l'histoire excellente, nous avons été critiqués car les joueurs estimaient qu'il y avait presque trop d'histoire. Cela signifiait qu'on s'attachait trop à Niko, et qu'il devenait un avatar moins efficace dans le monde ouvert. Je pense que nous nous sommes probablement approchés au plus près de la réconciliation parfaite possible dans Red Dead 2 ».

« Comme Trevor dans GTA V, si vous vouliez être complètement fou. Je pense que c'est à ce moment-là que ça fonctionnait vraiment, le personnage, la liberté totale. Dans n'importe quel jeu, on ne veut pas contraindre le joueur. Si on lui donne de la liberté, on ne veut pas lui dire : "Je vous donne la liberté, mais je vous la reprends ensuite parce que vous devez être tel ou tel type de personne quand vous êtes libre". J'aimais l’idée qu’il pouvait être gentil ou méchant. Je pense que c'est là que c'était le plus fort. On a envie d'un personnage complexe, avec des qualités et des défauts. Vous en avez justement par ce concept vraiment puissant de créer un personnage à 360 degrés. Je crois que vous avez mentionné quelque part que pour ce faire, il fallait être capable d'imaginer ce que ce personnage ferait dans n'importe quelle situation possible. »

 

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« C’est un concept philosophique. J'ai immédiatement commencé à y penser : puis-je imaginer… À quel point suis-je un bon PNJ ? Puis-je m'imaginer dans toutes les situations possibles ? J'ai beaucoup essayé de le faire lorsque j'étudiais l'histoire de l'humanité, l'Empire romain, la Seconde Guerre mondiale du côté allemand, russe, britannique ou américain. Je m'imagine simplement si j'étais un soldat. Il m'a fallu beaucoup réfléchir. Parfois, un an s'écoulait entre le début d'une discussion sur un projet et son élaboration. Je n'avais que quelques idées initiales, une simple phrase. »

« Il faut commencer à y réfléchir sous tous les angles. Se demander : "Est-ce que ça fonctionnerait s'ils agissaient comme ça ? Est-ce que ça fonctionnerait si vous agissiez comme ça ? Si tel est le monde, en quoi contraste-t-il avec le monde réel ?" Parce que j'ai toujours pensé que les jeux étaient une sorte d'équation mathématique. C'était la personnalité du monde, multipliée ou divisée par celle du protagoniste. Et quand cela crée des frictions intéressantes, c'est une expérience vraiment amusante pour le joueur. C'est presque toujours le cas pour au moins un des protagonistes, car dans GTA V, il y en avait plusieurs. On avait quelqu'un qui avait déménagé dans le quartier, ou qui avait déménagé dans une autre partie de la carte, et en tant que joueur, je pense que c'est beaucoup plus facile de s'identifier à son avatar qui est comme un poisson hors de l'eau. »

 

« Il s’agit simplement de vivre avec les personnages, puiser dans les idées et se demander : "Quels sont leurs points forts ? Quelles sont leurs faiblesses ? En quoi me ressemblent ils ? En quoi sont-ils différents ?" et puis, petit à petit, qu'est-ce que ça fait de se sentir humain ? A quel point sont-ils psychopathes ? À quel point sont-ils sociopathes ? Et quelles sont leurs qualités ? Qu'est-ce qui leur confère leur humanité ? Qu'est-ce qui, pour eux, en dehors de l'argent, vaut la peine de mourir ? Et puis, on commence à construire le personnage à partir de ces aspects fondamentaux. Parce qu'au fond, peu importe ce qui se passe dans leur tête. Ils n'en ont pas vraiment. Mais ça permettra de comprendre qui ils sont. Il faut développer la profondeur et la complexité du bien et du mal, cette part d'humanité présente en chaque être humain. »

GRAND THEFT AUTO VI
 

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Vous avez mentionné que vous n'aviez pas écrit pour Grand Theft Auto VI. Quel effet cela fait-il de retourner à Vice City ? Cela fait plus de 20 ans, mais le premier GTA: Vice City se déroulait dans les années 80.

« Ce que j'ai réalisé il y a un certain temps, c'est que nous avons créé ce jeu et qu'il se déroulait 1986. Nous l'avons fait en 2002, donc 16 ans plus tôt. Et maintenant, cela fait bien plus de 16 ans que Vice City est sorti. Donc, les années 80 n’étaient pas si lointaines quand nous l'avons créé. Je pense que Miami est l'une des villes les plus uniques au monde. Surtout si l'on pense à la satire de la culture américaine, elle présente cette dualité d'une surface lisse et d'un monde souterrain sombre. Il y a les influenceurs, les crypto-monnaies, les yachts, les bikinis, le plastique, la chirurgie, voitures de sport, drogue, argent des cartels, luxe, ultra-riches et miséreux, tout y est. »

Serait-ce la ville idéale pour explorer toute la palette de personnages que la nature humaine peut engendrer ?

« Je pense que oui. Il y a une raison pour laquelle GTA est toujours revenu à Miami, New York, Los Angeles. Je pense que ces villes correspondent parfaitement à ce que vous avez décrit. On pourrait transposer l’histoire dans n’importe laquelle d’entre elles et ça fonctionnerait. Donc oui, il y a un côté melting-pot. Il y a le clinquant, le glamour, la face sombre, les immigrés, une richesse colossale partout. Je pense que c’est ce qui fait tout jeu, pas seulement GTA, mais tout jeu qui recherche une tranche de vie, une sorte de version psychotique d’un roman de Dickens. Cette version déjantée de ces personnages, ce véritable melting-pot. »
 

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Ne plus faire partie de l'aventure, dire adieu à l'univers de Grand Theft Auto et devoir assister à la sortie de Grand Theft Auto VI. Quel est votre sentiment ?

« Comment le décrire ? Content de faire autre chose, enthousiaste pour ce sur quoi on travaille en ce moment, super enthousiaste évidemment, à l'idée de quitter un univers auquel j'ai contribué d'une manière ou d'une autre pendant une vingtaine d'années. J'ai écrit les scénarios des 10 ou 11 derniers jeux sortis. J'ai écrit tous les scénarios, ou plutôt, j'étais scénariste principal, peu importe. Alors forcément, laisser tomber tout ça, c'est un grand changement. Un grand changement, et c'est triste aussi, parce que chaque jeu racontait une histoire indépendante. Ça ne sera plus tout à fait la même chose, car je pense que ce serait probablement plus triste, d'une certaine manière, si quelqu'un continuait à développer Red Dead, étant donné qu'il s'agissait d'un arc narratif cohérent en deux jeux. Ce serait peut-être plus triste d'entendre quelqu'un travailler dessus. Ça arrivera probablement aussi. Je ne possède pas la propriété intellectuelle. Ça faisait partie du contrat. C'est un privilège de travailler sur des projets, mais on n'en est pas forcément propriétaire. »


GTA V a connu le plus gros lancement de l'histoire du jeu vidéo, et GTA VI a le potentiel de le surpasser. Tout d'abord, pensez-vous qu'il y parviendra ? Et plus généralement, quelle était votre définition du succès pour un jeu vidéo ?

« Je suppose que oui, car il est très attendu, et l'attente est le meilleur moteur des premières ventes, comme on l'a vu avec GTA IV par rapport à Red Dead Redemption. Vous savez, GTA IV, bien plus attendu, s'est beaucoup mieux vendu dès le départ. Donc, je suppose qu'il se vendra très bien. Ça n’a jamais ma définition du succès, mais il est évident qu'il faut gagner de l'argent. Car vous dépensez l'argent des gens. Donc, le succès numéro un, c'est : "Est-ce que vous récupérez votre investissement et est-ce que vous faites un bénéfice ?" À un certain niveau, ça doit être la chose la plus importante pour pouvoir recommencer. Il y a de grandes équipes. Les gens doivent payer leur loyer. Il faut bien faire tourner l'entreprise, donc il faut gagner de l'argent. »


« Si vous raisonnez ainsi, vous restez créatif. Même en essayant de l’oublier, ce n'est pas vraiment une option. On a presque toujours fait ça. On ne l'a pas fait systématiquement, mais presque toujours. Pour moi, la réussite, c'était d'avoir essayé de nouvelles choses et d'y être parvenu, ou d'avoir atteint certains de nos objectifs. C'est ce que je voulais dire… Encore une fois, est-ce que les gens réagissaient à ces univers et à ces personnages comme je le souhaitais ? Ça vous paraît fou que les jeux vidéo puissent générer des milliards de dollars, alors que dans les années 80 et 90, personne ne les prenait au sérieux. Et même dans les années 2000. Il est tout à fait possible que d'ici 10 ou 20 ans, les jeux vidéo surpassent le cinéma comme moyen de consommer des histoires. Je pense qu'ils l'ont peut-être déjà fait d'une certaine manière. D'un point de vue commercial, ils l'ont déjà fait. Mais vous savez, je pense que les jeux vidéo sont meilleurs pour raconter certains types d'histoires. »

« Je pense que si vous voulez une longue aventure riche en détails, un jeu vidéo est préférable. Si vous voulez une expérience courte et intense, un film est préférable. Nous avons toujours pensé que les jeux vidéo étaient l'avenir du divertissement. Alors, pendant 20 ans, nous avons répété : "Les jeux vidéo, c'est l'avenir. Les jeux vidéo, c'est l'avenir". Et on s'est d'abord moqué de nous, puis on s'est encore moqué de nous, puis les gens ont acquiescé, et finalement, c'est devenu une évidence. Je pense toujours que les jeux vidéo ne feront que s'améliorer, devenir plus intéressants, plus créatifs, plus diversifiés. »


RED DEAD REDEMPTION 1 ET 2
 

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« Pour Red Dead, j'avais vu beaucoup de westerns étant enfant. Mon père en regardait beaucoup. Il y en avait tout le temps à la télé. Du coup, j'avais l'impression d'en connaître pas mal. Et puis, j'ai dû commencer à réfléchir à l'écriture d'un western pour le travail. Et je me suis volontairement abstenu de me gaver de westerns. J'ai essayé de ne plus en regarder et de me concentrer sur ce que j'aimais, ce que je n'aimais pas, sur une approche qui fonctionnerait aujourd'hui et pour le cadre d'un jeu. Je pense que Red Dead 1 est un western un peu plus traditionnel. Après ça, j'ai essayé d'emmener Red Dead 2 dans une direction différente pour qu'il soit un digne successeur. Pas juste une redite. »
 

Où avez-vous dû aller mentalement, peut-être philosophiquement, peut-être spirituellement, pour créer l'univers de RDR ?

« Les jeux vidéo étaient très bénéfiques pour ma santé mentale. Ils m'occupaient bien. Mais Red Dead… Je vais vous raconter ma version. Aujourd'hui, les jeux sont développés par de grandes équipes. Je vais donc vous donner ma version, plus humaine, de l'histoire, de mon point de vue uniquement. Quand on a créé Red Dead Revolver, on a décidé de le terminer, ou plutôt, on a fini Red Dead Revolver, qui était à l'origine un jeu Capcom. Ils ne voulaient pas le terminer, alors on l'a fait. Ils l'ont sorti au Japon et nous aux États-Unis, je crois, en 2004. On a ensuite décidé de se lancer dans un jeu de cowboys en monde ouvert pour PS3. On n'y a pas trop réfléchi, et c'est à ce moment-là qu'on a commencé à travailler sur d'autres projets. Et petit à petit, en 2005-2006, le jeu a commencé à prendre forme. J'ai commencé à rencontrer le concepteur principal, Christian Cantamessa, on a discuté de quelques idées, notamment pour l'histoire, et on a commencé à réfléchir à certaines choses. Et commencer à réfléchir à ce qui fonctionne pour un jeu en monde ouvert. Qu'est-ce qui fonctionne pour un jeu de cowboys ? Et encore une fois moi, j'étais paresseux ou je procrastinais. »


« Comment je m’y prends ? Sur un bloc-notes jaune, ou un BlackBerry à l’époque, ou un iPhone aujourd’hui. J’écris le sujet et je m’envoie une note par mail. Tiens, une bonne idée. Tiens, une bonne idée. Ou alors, c’est juste un gribouillage sur un bloc-notes. Ensuite, si c’est fait numériquement, je les rassemble dans un long fichier Word. Et puis je les regarde et je me dis : "Tiens, une idée, une idée, une idée." Je vois si ça donne quelque chose. Je les regroupe et je les relis. Je cherche à savoir s’il y a quelque chose de cohérent. Par exemple, un détail sur un personnage, comme ceci ou cela. Ça ferait une réplique marrante. Ça, c’est une réplique pour le personnage principal. On pourrait vraiment faire fonctionner le personnage principal comme ça. Et cette relation ? En commençant à tâtonner, à te demander : "Et si on commençait à cet endroit, et qu'on allait à cet autre endroit ?", à explorer toutes les possibilités, on a commencé à élaborer le déroulement du début du jeu. »


« L'Ouest américain signifiait qu'on n'avait pas besoin de créer trop d'arbres, qu’on pouvait aller au Mexique et revenir. On avait une certaine fluidité. J'avais vraiment peur d'écrire des dialogues. Je n'avais aucune idée de comment m'y prendre. Et je me disais : "Ça viendra, ça viendra". Et je continuais… parce que je pouvais repousser ça indéfiniment, vu qu'on travaillait sur GTA IV. Et ça ne me préoccupait pas. Mon travail sur GTA IV était terminé, mais le jeu n'était pas encore sorti. On avait bouclé une bonne partie du marketing, et on avait un petit moment de répit. J'ai pris une semaine avec ma copine de l'époque, maintenant ma femme, qui était enceinte de notre premier enfant, et on est allés dans une maison à la campagne. Enfin, elle, elle restait là, à cuisiner pour moi, à regarder la télé ou à lire. Et moi, je restais assis dans ma chambre toute la journée, tous les jours. Et je suis resté assis là, à fixer l'ordinateur, en essayant de trouver : Comment faire pour que ça ne paraisse pas ridicule ? Comment écrire dans un style western ? »
 

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« Qu'est-ce qui donne au jeu cette vie et cette profondeur que je souhaite lui insuffler ? Au bout de trois jours, ça a commencé à venir. Et puis, soudain, j'ai écrit neuf ou dix scènes dans les deux jours qui ont suivi. Après ça, j'ai su que c'était bon. Je ne sais pas si c'est pour ça qu'il y avait autant d'importance accordée à la famille du personnage, parce que je commençais tout juste à fonder une famille. Je ne sais pas dans quelle mesure ça a influencé le reste, mais je pense que oui, en partie. Ça faisait donc partie de la création de ces personnages complexes : voilà cet homme capable, impliqué dans beaucoup de violence, qui se soucie aussi de sa famille. Il a grandi et il essaie de prendre du recul par rapport à tout ça, de devenir un homme, un adulte. Y parviendra-t-il ? Et quand il n'y parviendra pas, qu'est-ce qu'il est prêt à faire pour sauver sa famille ? »

«  Je commençais à me confronter à l'idée de devenir parent. J'espère donc que ça se ressent… Et puis, évidemment, je n'ai rien écrit pendant six mois. Plus tard, nous avons eu un enfant. Mais au début, je pense que ça a commencé à se faire sentir. On a eu le sentiment que c'était possible. Les dialogues auraient facilement pu être ridicules et invraisemblables. Il y a sans doute eu un travail considérable pour les rendre réalistes et crédibles. Un peu comme une pièce de Shakespeare, mais pas du genre kitsch. Je voulais juste que ça sonne juste quand ils parlaient. J'adore les dialogues. J'adore la sonorité des mots, mais je voulais juste que, lorsqu'ils sonnent, ça ne sonne pas ringard. Ça ne paraissait pas ridicule. On avait envie de les entendre parler davantage. Leurs interventions ne vous mettaient pas mal à l'aise. C'était au fond, c'était le seul objectif, et puis on avait l'impression que ce type allait vivre une odyssée périlleuse, et qu'on s'attachait à lui. On devait aussi s'attacher à sa femme et à son enfant, même si on ne les connaissait pas. »


Quand avez-vous su comment vous alliez terminer Red Dead Redemption 1 ?

« Je me souviens d'une réunion avec Christian [Cantamessa">, le concepteur. Je ne me souviens plus de l'année. Probablement fin 2008, début 2009. On discutait de la fin, et j'ai dit : "Je crois qu'il doit mourir". Il a tout de suite adhéré à l'idée et a dit : "C'est oui, oui. Non, non, attendez, non, ça ne peut pas marcher. Les jeux ne peuvent pas fonctionner comme ça. Ça ne peut pas marcher s'il est mort". J’ai commencé à réfléchir et techniquement, ça ne marchait pas. Et puis j'ai commencé à me dire : "En fait, je pense qu'on peut y arriver en faisant comme ça". mais j’étais encore partagé. C'était ingénieux narrativement, mais j'étais partagé quant à sa faisabilité technique en tant qu'élément de conception du jeu. Finalement, je pense que ça a fonctionné. »

 

« L'acteur était tellement bon, et on avait déjà vu pas mal de ses performances. Il était tellement doué pour lire ces répliques que je savais qu'il pouvait nous donner ce qu’on pouvait ressentir à ce moment-là. Je pense que ces répliques sont meilleures quand elles sont courtes et percutantes. Je pense que tous les acteurs de Red Dead Redemption étaient tellement talentueux qu'ils ont vraiment donné vie au jeu. Si eux et Rod [Edge">, le réalisateur, n'avaient pas fait un aussi bon travail, ça aurait été vraiment ringard. »
 

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Vous avez dit que la fin de RDR1 était l'une des meilleures choses auxquelles vous ayez participé. Pourquoi cette fin est-elle si marquante pour vous ? 

« Pour que l’histoire fonctionne, d’un point de vue purement technique, il fallait qu’il meure. Mais pour que le jeu fonctionne, le faire mourir représentait un véritable défi. C’était probablement le quatrième, cinquième ou sixième jeu en monde ouvert sur lequel je travaillais, et j’avais passé des années auparavant à peaufiner le fonctionnement de ces histoires. Comment les rendre techniquement crédibles, comment leur donner une véritable profondeur, comment les intégrer au mieux au gameplay ouvert. Et à la fin du jeu, le personnage était libre de terminer toutes les quêtes annexes, de jouer indéfiniment. Cette fois, on incarnerait un autre personnage et le récit serait suffisamment captivant, si on a fait du bon travail, pour que vous n’y prêtiez pas attention. Ou alors vous serez bouleversé par sa mort, mais vous pourrez quand même vivre ce moment d'émotion. »
 

« Je pense donc que c'était un gros risque technique pour nous, et pourtant ça a marché. C'était quelque chose de très angoissant, et finalement, ça s'est bien passé. Je crois que les gens étaient vraiment contrariés et en colère contre nous parce qu'ils ne pensaient pas que ça arriverait, mais je pense qu'ils ont aussi vécu ce genre d'expérience que vous décrivez : ce moment créatif, ce moment transcendant avec les personnages d'une œuvre de fiction, ce à quoi nous avons toujours aspiré. »


« J'aurais bien aimé, à la fin de GTA IV, tuer Niko, mais c'était impossible. Le jeu ne fonctionne pas comme ça. Donc, on ne l'avait pas fait, on y avait pensé, on ne l'avait pas fait, et puis on s'est dit : "Allez, on y va. Prenons le risque. On n'y arrivera pas. Essayons". Et ça a marché. Est-ce que c'était la bonne fin, la meilleure fin à 100 % d'un point de vue purement narratif ? Je ne sais pas. Mais je sais qu'il fallait que le jeu fonctionne. Donc je pense que ça fonctionnait plus ou moins bien, avec Jack qui ne peut pas s'échapper, mais j'ai toujours voulu une version où il s'échappait. Les deux étaient intéressantes. »

« C'est juste l'expérience mécanique : vous avez un avatar que vous contrôlez et les jeux ne se terminent pas vraiment. Il faut pouvoir se promener dans le monde et faire des choses. Donc, à la fin du jeu, vous devez pouvoir vous promener avec votre avatar. Les fonctionnalités sont assez limitées : on peut s'approcher de quelqu'un et le frapper, lui tirer dessus, le voler, lui parler, monter à cheval et faire plein d'autres choses. Pour que le jeu reste amusant et que les joueurs puissent profiter pleinement de l'expérience à 360 degrés, il fallait, s'ils voulaient le terminer à 100% et pas seulement finir l'histoire, avoir un avatar pour faire tout ça. C'était donc le défi du personnage de Jack : terminer l'histoire avec Jack. Dans les deux Red Dead, on change d'avatar. Je trouve qu'il y a quelque chose d'intéressant dans ce moment où l'on passe d'un personnage à l'autre. »
 

« L'expérience. Que peuvent bien offrir de plus les jeux vidéo ? Créer cette expérience, c'est ce que font les grands films, c'est ce que font les très grands livres. Enfin, c'est ça et la construction du monde dans les jeux. Je pense que l'expérience d'être dans ce lieu virtuel est de vivre ces aventures narratives, quand tout cela se combine, cela donne une expérience incroyable. »
 

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Vous avez dit que Red Dead Redemption 2 était, selon vous, votre meilleure création. Je pense qu'on peut affirmer sans hésiter que c'est le meilleur jeu de tous les temps. Quels sont, selon vous, les éléments qui rendent ce jeu vraiment exceptionnel ?

« On avait une grande équipe expérimentée. Je crois qu'on a travaillé dessus en petit comité dès le premier jour, en imaginant des idées farfelues qu'on a intégrées au jeu. Et puis, il a fallu les concrétiser. Mais je pense que le fait d'avoir pu être très créatifs avant d'avoir une équipe complète a été un atout. Je trouve que le cadre western est génial, car il confère une sorte de gravité mythique que les intrigues contemporaines ne permettent pas toujours. Je crois que le jeu qui s'en est le plus approché, c'est GTA IV. Mais dès qu'on situe l'histoire dans le monde moderne, tout devient trop frénétique. On perd ce côté un peu opératique que j'adore. Certains trouvent ça peut-être un peu excessif, mais moi, j'aime cette idée de personnages en quête de sens au cœur même de la violence. Je pense que l'Ouest et tous les thèmes qui l'entourent s'y prêtent parfaitement. Et puis les combats à l'arme à feu étaient fantastiques, et les chevaux étaient incroyables. Vous aviez donc cette combinaison de savoir-faire technique, d'une équipe très, très solide et d'un matériel vraiment exceptionnel. »

Alors, quel est selon vous le meilleur personnage que vous ayez créé dans RDR ?


« Je pense qu'il n'y a pas photo. John sera un bon deuxième, ce qui est assez drôle à dire, mais... John sera un bon deuxième, Arthur est définitivement le meilleur. Et vous en avez parlé dans cette interview, vous avez dit que beaucoup de jeux vidéo fonctionnent sur le même principe : on commence comme une personne faible et on finit comme un super-héros fort. Mais que se passe-t-il si on commence comme un dur à cuire, quelqu'un de déjà très fort, qui a une confiance émotionnelle et sa place dans le monde ? »

« Le parcours d'Arthur ne consiste pas à devenir un super-héros, car il l'est presque au début, mais c'est une véritable montagne russe intellectuelle lorsque sa vision du monde s'effondre. C'est donc très différent du parcours habituel d'un personnage. Il y avait quelques autres thèmes qui correspondaient à cela. Ce sont des gars du Far West, mais ils sont repoussés toujours plus à l'est. C'est presque comme un anti-western. Vous voyagez vers l'est. Vous voyagez vers la civilisation. Et je ne pense pas que j'aurais exploré ces idées plus tôt dans ma carrière, car cette idée d'acquérir une force et une faiblesse d'un autre genre était intéressante. »
 

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Vous pensez que c'est le meilleur personnage que vous ayez jamais créé ?

« Oui, Je pense que c'est le meilleur personnage principal. Les personnages principaux sont différents des personnages secondaires, et je pense que c'est le plus abouti et le plus réussi. En fait, lui et Niko Bellic sont les deux que je préfère. C'était les deux personnages les plus ambitieux. Donc pour moi, c'est toujours un peu difficile de choisir. Mais j'ai adoré tout le reste, l'équipe artistique a fait un travail incroyable. C'était leur idée avec le journal et tout ça… La façon dont tous les éléments s'intégraient au personnage d'Arthur. Il était vraiment complexe, il fonctionnait très bien de différentes manières. J'ai adoré les relations complexes. Tous les personnages secondaires, des petits détails qui apparaissent autour de lui jusqu’à l’ensemble du casting ».

Qu'en est-il de la composante de la mortalité, d'un personnage confronté à sa propre mortalité ? 

« Je trouvais ça vraiment intéressant à explorer dans l'histoire. John meurt dans Red Dead, et je voulais faire encore mieux avec Red Dead 2, ou du moins le faire différemment. Déjà, l'idée que la mort d'Arthur soit assez soudaine, et donc qu'il agonise longuement, me fascinait. Puis, j'ai toujours été obsédé par la tuberculose. C'est un formidable outil littéraire, en matière de maladies. Vous savez, cette mort lente et douloureuse, où l'on s'affaiblit progressivement. Mon grand-père a eu la tuberculose avant l'invention des antibiotiques et a été interné dans un sanatorium juste après la naissance de son fils, mon père. Il a survécu, mais seulement trois personnes sur une trentaine ont survécu. J'ai donc toujours été captivé par la tuberculose. J'avais l'impression que c'était quelque chose d'intéressant avec lequel jouer. »

« L'idée de départ, c'était ce type qui s'affaiblissait, lui qui se croyait immortel et qui l'était vraiment. C'était le protagoniste d'un jeu vidéo, il était immortel, et soudain, il devenait mortel. Mais ça lui permettait de voir les choses autrement. Je trouvais que c'était une façon originale de concevoir un personnage principal dans un jeu. »
 

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Quels sont vos personnages préférés parmi ceux que vous avez créés ?


« J'adore Dutch. C’est en partie parce qu'on avait écrit quelques répliques pour lui dans le premier jeu, et l'acteur a fait un travail tellement incroyable que quand il a parlé, toute son histoire m'est revenue en mémoire, histoire que j'avais déjà un peu explorée dans ma tête à ce moment-là. Mais je savais que c'était son côté gangster principal. J'ai tout de suite compris qui il était. Il me semblait être un personnage vivant. Et il faut dire que Dutch est un peu comme une figure quasi divine. »
 

« Dans les deux jeux Red Dead Redemption, il est le chef du gang. Il existe une relation père-fils avec Dutch, ce que soit avec Arthur ou avec John. Le gang dégage une atmosphère familiale. Ils explorent toutes ces dynamiques, puis le sentiment de trahison et la tuberculose d'Arthur. On se rebelle contre la famille, contre le père, car il est en train de transformer sa vision du monde, sa morale, et tout cela. On retrouve toute la dimension d'un drame shakespearien. Dutch est une figure quasi divine tout au long de cette histoire. Lui aussi est imparfait. Un homme à la fois bon et mauvais dans le contexte où ils évoluent. À la fin, il est complètement rongé par son ego. Son ego prend le dessus. Je pense qu'il y avait quelque chose d'imparfait mais de beau dans son idéalisme de jeunesse, et cela reste en grande partie hors champ. »

« Personnellement, j'ai toujours été très sensible au charme. Et il est charmant. Je comprends comment on peut être captivé par le charme. L'idée, c'était celle d'une personne très charmante dont le destin s'est effondré. Il s'est en quelque sorte laissé prendre à ses propres illusions et Arthur était complètement amoureux de lui, platoniquement. Il l'admirait. Il lui avait abandonné son pouvoir. Et puis, je pense que pour Arthur, le voyage consiste à reconquérir ce pouvoir au moment de la mort. C'est pour ça que j'ai trouvé ça vraiment intéressant. Réaliser que toute sa vie, il n'a pas mené une bonne vie, qu’il n'a pas été un homme bien. N'est-ce pas ce qui nous fait tous peur ? J'espère qu’il n’est jamais trop tard pour changer. »


« Avez-vous vu Gavin ? Qui est Gavin ? » Dans Red Dead Redemption 2, un personnage nommé Nigel recherche frénétiquement un mystérieux individu nommé Gavin tout au long du jeu. C'est devenu l'un des plus grands mystères de la franchise. Sur Internet, au sein de la communauté RDR, les théories fusent. La première est celle d'un trouble dissociatif de l'identité. Nigel serait en réalité Gavin. Cette théorie s'appuierait sur une lettre contenant des indices pouvant être liés à un traumatisme, à l'origine de ce trouble. Ce Gavin aurait été créé dans l'esprit de Nigel. La deuxième théorie suggère que Gavin est mort et que Nigel refuse simplement d'y croire. La troisième théorie avance qu'il s'agit d'une simple blague et que Rockstar a intentionnellement créé un mystère insoluble pour rendre les joueurs fous. Enfin, il existe une quatrième théorie, selon laquelle Gavin serait l'Homme Étrange dans RDR. Alors, quelle théorie est la plus proche de la vérité ?

« Ni la troisième, ni la quatrième. À mon avis, elle se situe entre la première et la deuxième. J'ai adoré la façon dont il a crié "Gavin !". Ça m'a amusé. Donc, d'une certaine manière, c'était probablement une forme de provocation, car nous ne voulions pas que ce soit un mystère totalement clair. Nous voulions y ajouter une touche d'aventure. Mais c'était voulu… Sans jamais expliquer clairement que Gavin n'était plus là. Gavin est peut-être rentré chez lui, il l'a quitté, il est ailleurs… Et nous comptions continuer à explorer l’idée qu’il réapparaîtrait d'une manière ou d'une autre. »
 

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Aviez-vous la moindre idée de l'imagination, de l'enthousiasme et de la curiosité que cette petite interaction allait susciter chez les joueurs ?

« Oui et non. On ne sait jamais ce qui va amuser les gens dans ces gros jeux, et le jeu d'acteur y est pour beaucoup. Le type était juste drôle quand il a dit "Gavin". C'était vraiment drôle. Mais par exemple, il y avait un piéton dans Red Dead Redemption qui a obsédé tout le monde, et je ne m'y attendais pas du tout. Alors on essaie d'intégrer plusieurs personnages. Gavin était censé être amusant. Je le trouvais amusant. Mais on ne sait jamais ce qui va fasciner les gens. Il y a d'autres personnages que je trouve drôles, et les gens ne les remarquent même pas, ou alors ils les voient d'une manière complètement différente. »


Avez-vous participé à la rédaction de la lettre ?

« Oui. Je ne me souviens plus si je l'ai écrite, si c’est Mike ou si c’est nous deux. Franchement, je ne m'en souviens plus. Il s'en souviendrait peut-être. Je ne m'en souviens plus vraiment… Et nous faisons tellement de choses comme ça. J'ai adoré l'utilisation des lettres dans Red Dead pour raconter toutes ces histoires étranges. Certaines sont devenues très claires, d'autres restaient un peu obscures. Mais je crois que l'impression générale était que Gavin n'existait pas. Soit il n'existait pas, soit il était parti depuis longtemps. C'est donc une sorte de double personnalité ».


Donc, d'une certaine manière, vous-même, vous ne savez pas vraiment. Vous avez une vague idée, vous penchez plutôt pour la première ou la deuxième théorie ? Est-il mort et Nigel est dans le déni, ou y a-t-il une véritable communication dans sa tête ?

« Non, Gavin a existé. Ce n'était donc pas un trouble dissociatif de l'identité, et la seule chose que nous n'avions pas encore décidée, c'était si, dans un prochain jeu, nous allions révéler la mort de Gavin, ou s'il allait réapparaître après avoir abandonné ce maniaque depuis longtemps. C'est ce que nous explorions encore. On veut que les mystères secondaires soient résolubles jusqu'à un certain point, mais on veut quand même ces discussions. On veut que ça reste cohérent avec l'ambiance de cette grande histoire à rallonge qu'on est en train de créer. Ce qui était le cas de Gavin, il était tellement bizarre. Il y avait quelque chose de drôle à entendre un Anglais crier "Gavin !". Je ne sais pas pourquoi. »

« Je sais pourquoi je trouve ça drôle, mais je ne peux pas me dire : "Ce truc va devenir super populaire en ligne et ça pas du tout". Tu peux créer plein de trucs différents, une cinquantaine, qui pourraient captiver les gens, et tu ne sais jamais à quoi ils vont réagir. En soi, il n'y a rien de drôle à entendre un type crier "Gavin" à tout bout de champ. Il le disait juste d'une façon bizarre… Je me suis dit que ça pourrait être marrant. C'était génial. Et il le disait d'une façon tellement drôle. On a souvent des personnages secondaires qui ne sont pas si drôles, et d’autres où je me dis qu'ils vont être hilarants, et puis on les intègre au jeu, et ils sont corrects, mais sans plus. Ce type-là, il a donné vie à tout ça. »
 

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Alors, à propos de l'Homme Étrange, alias l'Homme en Noir… Est-ce qu'il y a un lien avec Michael et le thérapeute dans Grand Theft Auto V ? Qui est l'Homme Étrange ?

« Eh bien, l'Homme Étrange était quelqu'un qu'on a inventé rapidement. On faisait Red Dead Redemption, on trouvait l’histoire plutôt captivante et le monde ouvert assez intéressant. On avait déjà fait pas mal de Grand Theft Auto, évidemment, mais malheureusement, on avait enlevé les mitrailleuses parce que c'était un jeu de cowboys, à part les grosses mitrailleuses fixes. On avait aussi enlevé les voitures, la ville et les piétons en grand nombre. Du coup, on se retrouvait avec un jeu où un type chevauchait dans le désert. Et c'était ennuyeux. Alors on a commencé à l'étoffer de contenu, on l'a rempli on a dû improviser. On l'a rempli avec ce qu'on appelle des événements aléatoires et les concepteurs ont fait un travail incroyable. C'était vraiment amusant. Mais il n'y en avait pas assez. Et puis on s'est dit qu'il nous fallait plus d'histoires. On a donc commencé assez tard dans le développement à intégrer du contenu de type RPG, où l'on rencontre des personnages. On les concevait comme des petites histoires et on rencontre quelqu’un qui nous confie une mission à accomplir. »

« On essayait d'en faire des sortes de nouvelles avec une chute inattendue. Et ce personnage étrange est apparu alors que je cherchais des idées. On l'a ensuite intégré à l'histoire : il se débloquait au fur et à mesure de votre progression et commentait vos actions. Il était censé être une sorte de manifestation de votre ombre, de votre karma, du diable, quelque part, qui observait le monde. On a développé son histoire au fil du temps et on a décidé que dans Red Dead Redemption 2, vous pouviez interagir avec lui, ou pas vraiment. Mais il était là, et il était censé représenter ce que tout créatif redoute, je suppose : un artiste qui a vendu son âme au diable. Et cela s'est révélé peu à peu. »
 

« En quelque sorte, il sait ce que vous manigancez. Mais est-ce qu'il vous suit vous spécifiquement, ou est-ce que, grâce au pacte qu'il a conclu avec des forces maléfiques, il est capable de le faire pour tout le monde ? Je pense qu'on ne le précise jamais vraiment. Il est certainement capable de le faire pour vous, l’équivalent d’un psy dans Grand Theft Auto. Mais l'idée, c'est de plonger le joueur dans un jeu, et les jeux sont intrinsèquement physiques, vous savez, on marche, on frappe des trucs, on court, on conduit, on tire sur des gens, etc. Il y a ce genre de fantasmes physiques. Essayer de les amener dans un état un peu plus introspectif ou métaphysique, ne serait-ce qu'un instant, je pense que ça peut être vraiment amusant. »


L’une des choses les plus surprenantes concernant Red Dead Redemption, et plus généralement les jeux vidéo, que Red Dead Redemption a démontré, c'est à quel point la valeur de la narration réside dans des détails incroyablement précis et complexes. Dans l'histoire, mais aussi visuellement. Cela renforce l'impression de réalisme. Du coup, je dois vous demander : quels sont vos détails incroyablement précis et complexes préférés dans RDR ? Je peux vous donner quelques exemples. Le préféré d'Internet, ce sont les testicules des chevaux qui rétrécissent par temps froid.

» Ouais. Ils ont fait un boulot incroyable là-dessus. Il y a eu une réunion, avec des ingénieurs et des graphistes. C'est génial. C'est ce que j'adore. J'expérimente beaucoup avec ça dans les nouveaux jeux, parce que je trouve ça super intéressant. Je pense que c'est une façon vraiment amusante de proposer un contenu narratif à la fois systémique et procédural. Je pense qu'avec la technologie moderne, ce n'est pas si compliqué, mais il y a beaucoup de choses à gérer pour que ce soit intéressant. »
 

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« On a fait un jeu poussiéreux. Red Dead Redemption est un jeu super poussiéreux. Le problème avec les cowboys, c'est que si on essaie de faire un best-of du genre, et qu'il faut faire une suite, il faut trouver un nouveau décor. C'est pour ça que le jeu commence dans la neige. On voulait un jeu avec de la neige et de la boue, parce que c'était des choses qu'on n'avait pas vraiment vues dans RDR. Le défi, c'était d’avoir un bon rendu de la boue dans un jeu. Et les gars ont fait un boulot incroyable. »
 

« Dans le premier jeu, on commence comme un loup solitaire. Soudain, on se retrouve dans un grand groupe. C'était donc très différent. Sur le corps d'Arthur, les blessures par balle persistent. Cette cohérence temporelle, c'est vraiment important. Arthur, lorsqu'il était maigre, semblait avoir disparu et lorsqu'il était en surpoids, il prenait du ventre et son visage s'arrondissait. Encore une fois, les décisions que l'on prend se révèlent au fil du temps dans le jeu. Et elles sont cohérentes. Moi, ce qui m'importait le plus, c'était la cohérence de l'ensemble. Vous savez, le fait que chaque élément semble avoir sa place. Vouz avez créé une expérience cohérente, très, vous savez, entre guillemets, "réaliste" pour un jeu vidéo, et tous les détails s'accordent parfaitement. »

Des éléments ont été coupées. J'imagine qu'il a fallu faire des choix. Comment se déroule le processus de décision ? Y a-t-il des choses que vous avez dû abandonner et qui vous manquent vraiment, ou que vous auriez aimé inclure ?

« Eh bien, je pense que les jeux sont finalement tels qu'ils devaient être. Il y avait une scène au début de RDR où il avait un bébé qui venait de mourir dans Red Dead Redemption 2, et on a fini par la couper, ce qui était la bonne décision. C'était trop dur, d'une certaine manière. Mais je pense que ça lui donnait une vraie profondeur… Il n'était pas très compatissant envers la petite amie concernée. Du coup, il était vraiment très désagréable au début, et je trouvais ça intéressant à explorer, car ça rendait son parcours de rédemption encore plus captivant. Au début, il n'était pas très sympathique, et c'est un point que nous avons finalement choisi d'adoucir. Il restait assez dur et désagréable, mais il était un peu plus attachant au début. C'était le bon choix. »
 

« Commercialement, c'est mieux ainsi. Mais vous savez, j'aime toujours ce petit passage. Il m'a touché personnellement. Et son incapacité à accéder à ses émotions était vraiment marquante, car plus tard dans le jeu, il devient très émotif. Mais il y a toujours des petits détails qu'on coupe ou des missions qui, techniquement, ne fonctionnent tout simplement pas. En général, c'est du genre : "Cette mission est techniquement impossible. Oh non, il faut la couper. Bon, comment on réintègre l'histoire ?" Avec le temps, on est devenus meilleurs pour recoller les morceaux manquants dans l'histoire. Plus on avance dans le jeu, plus il y a des moments importants et difficiles qui vont être ratés, alors on les supprime. »


ROCKSTAR GAMES

 

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Y a-t-il des DLC pour RDR ou GTA, que vous auriez aimé créer si vous n'aviez pas eu le temps ?

« Bien sûr. Il y a toujours des choses que j'aurais aimé faire. J'aurais toujours aimé en faire plus. Internet sait qu'on a créé un DLC solo pour GTA V qui n'est jamais sorti. Et on n'a jamais vraiment travaillé sur un autre jeu. Mais j'aime bien l'idée d’un GTA zombie. Ça aurait été marrant. Je pense que ça aurait pu être vraiment sympa. Le DLC de GTA V, c'était un jeu où l'on incarnait Trevor, mais c'était un agent secret. Ça n'a jamais vraiment abouti, et ça n'a jamais été terminé. »
 

« Le projet était à peu près à moitié terminé quand il a été abandonné. Mais je pense que s'il était sorti, on n'aurait probablement pas pu faire Red Dead 2. Il faut toujours faire des compromis. J’aime créer des histoires. J'adore le modèle de GTA IV avec ses histoires supplémentaires qui arrivaient après, ou celui de Red Dead Redemption et le pack zombie. J'aime bien faire ces petits plus. J'aurais donc aimé en faire davantage dans cette entreprise. J'aime les DLC solo. Je pense que le public adore ça, et c'est vraiment amusant à faire. »
 

Avez-vous envisagé d'autres idées de jeux chez Rockstar et après ? Des idées que vous n'avez finalement pas retenues ? Des jeux en monde ouvert, par exemple. Des jeux de pirates ?

« Je n'ai jamais vraiment réfléchi à un jeu de pirates. Mon fils est obsédé par Sea of Thieves en ce moment, alors il me dit sans cesse : "Fais un jeu de pirates !" Je n'y ai pas vraiment réfléchi. Nous avons beaucoup travaillé sur plusieurs versions d'un jeu d'espionnage en monde ouvert [Agent">. Sur ce jeu, il y a eu environ cinq versions différentes et c'était bien. Mais je pense que ça ne fonctionnait tout simplement pas. C’est ce que j’en ai conclu, et j'y repense parfois. Il m'arrive d'y penser au lit, et j'en ai conclu que ce qui fait leur force en tant que films les rend inefficaces en tant que jeux vidéo. Il faut réfléchir à une autre façon de l'adapter en jeu vidéo. »


« Pour ceux qui ne connaissent pas, l'histoire se déroulerait hypothétiquement dans les années 1970, pendant la Guerre froide. C'était une des versions. Il y en avait une autre qui se déroulait à l'époque actuelle. On a eu tellement de versions différentes de ce jeu. On a travaillé dans tellement d'équipes différentes, que ce soit par rapport à la géopolitique, à l’espionnage ou les assassinats. Je ne sais pas trop ce que ça aurait donné, parce qu'on n'a jamais eu assez de matière pour développer une histoire digne de ce nom. Au moment de mettre le monde en place, on en était aux prémices. Ça n'a jamais vraiment trouvé son rythme et je crois savoir pourquoi : dans ces films, c'est très, très frénétique, l'action s'enchaîne à un rythme effréné. Il faut aller là-bas et sauver le monde. Il faut aller là-bas et empêcher cette personne de se faire tuer, puis sauver le monde. »
 

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« Un jeu en monde ouvert a certes des moments comme ça où l'histoire prend forme. Mais pendant une grande partie du jeu, c'est beaucoup plus libre, on se balade et on fait ce qu'on veut. Je veux de la liberté. C'est pour ça que ça marche bien d'être un criminel : fondamentalement, personne ne vous dit quoi faire. On essaie de créer une forme d'autorité extérieure à travers ces personnages qui vous entraînent de force dans l'histoire. Mais en tant qu'espion, ça ne marche pas vraiment, car il faut être contre la montre. Du coup, je me demande si on peut vraiment faire un bon jeu d'espionnage en monde ouvert. C'est intéressant. Beaucoup de choses pourraient fonctionner dans un jeu en monde ouvert, mais je ne sais pas si un jeu d'espionnage s'y prête. »

« Ensuite, on a exploré le concept des chevaliers en essayant de créer une version de jeu mythologique qui aurait pu être amusante. J’aime toujours cette idée, mais je ne l'ai jamais vraiment développée. Je n'ai jamais écrit quoi que ce soit. J'ai juste fait quelques ébauches de contexte et exploré quelques idées. Mais c'était quelque chose que je pensais ne jamais faire, et puis finalement, je m'y suis un peu attaché. »

L’idée d'aller ailleurs, par exemple à Londres, a déjà été envisagée pour la saga GTA ?

« On a fait un petit truc à Londres il y a 26 ans, GTA: London, en vue de dessus sur PS1. C'était plutôt mignon et amusant. C'était le tout premier pack de missions pour PlayStation 1. Je pense que pour un GTA complet, on a toujours pensé que l'esprit américain était tellement ancré dans la franchise qu'il serait vraiment difficile de l'adapter à Londres ou ailleurs. Il fallait des armes, il fallait ces personnages hors du commun. Le jeu était tellement imprégné de l'Amérique. C'était tellement l'essence même du jeu que ça n'aurait pas fonctionné de la même manière ailleurs. »

LE MOT DE LA FIN
 

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Vous avez quitté Rockstar en 2020, qu’est-ce qui vous manque de votre passage chez Rockstar ? Y a-t-il des souvenirs précis qui vous procurent de la joie ?

« Bien sûr, c'était toute ma vie, ça a été ma vie pendant une vingtaine d'années, 21 ans environ. J’ai déménagé en Amérique pour ça, et j'ai grandi avec ça. J'ai toujours vécu à New York. C'était parfois très intense et à d'autres moments, une expérience magique. Mais c'était aussi une part énorme de ma vie. Ma vie, c'était ce travail, mes connaissances à New York et ma famille. On faisait quelque chose d'intense et d'innovant, un projet à la fois adoré et détesté par le grand public, selon les époques et les manières, dans cette drôle de boîte qui avait toujours des problèmes. C'était vraiment génial. »

« Dans les années 2000, c'était innovant et vraiment excitant, car on faisait des choses inédites. On avait l'impression d'être créatifs. On était en pleine phase de développement. On avait le sentiment de faire plein de choses créatives, d'apprendre à assembler les éléments et d'en découvrir les possibilités. Et puis, je crois qu'on en a déjà parlé, mais avec le développement de GTA IV, on a commencé à créer une véritable expérience d'écriture. J'étais probablement prêt à ce moment-là. Et je me suis dit : "C'est mieux que le cinéma. C'est quelque chose que le cinéma ne peut pas faire". Vous savez, cette expérience d’être un immigrant à 360 degré. Et pourtant, on avait encore l'impression de n'avoir fait qu'effleurer le sujet. »

« Par la suite, il y a eu ces cinq jeux : GTA IV et GTA V, Red Dead Redemption 1 et 2 (tous les packs d'extension) et Max Payne 3. Je pense qu'on a exploré de nouveaux horizons thématiques pour ces jeux durant cette période. Du point de vue de l'écriture, c'était la période la plus stimulante. Sur le plan commercial et en termes de créativité naissante, la période 2001-2005 a probablement été la plus passionnante. Utiliser l'équipe fondatrice d'origine, tous impliqués, était une excellente idée. »


Vous avez travaillé avec votre frère, Sam, durant des années. Qu'admirez-vous chez lui ? Que pensez-vous de lui en tant qu'esprit créatif, en tant qu'être humain ?

« Son dynamisme et sa vision précoce du potentiel des jeux vidéo. Il a été le premier à comprendre que les jeux vidéo allaient révolutionner le secteur. Et je pense que, à l'époque, on se serait moqué de nous. C'était quelqu'un de déterminé, qui disait : "Non, non, on persévère, on garde le cap", et qui a eu la confiance nécessaire pour mener à bien ces projets ambitieux. »

Êtes-vous enthousiaste quant à l'avenir des jeux vidéo ?

« Oui, absolument. Je le suis toujours et je suis ravi que vous ayez parlé si gentiment de notre travail, de ce que j'ai fait et de ce que toute l'équipe a accompli. C'est formidable. Mais je me concentre sur l'analyse, je vois les problèmes et les points à améliorer. Vous savez, je pense que notre objectif a toujours été de faire mieux à chaque fois. Et certains des projets sur lesquels nous travaillons actuellement vont proposer des choses inédites. Je pense vraiment que les jeux vidéo ont un potentiel énorme. Ils peuvent êtres tellement plus vivants. »

Lien : Lex Fridman (YouTube)

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